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« L’AES doit avoir une force de nuisance pour faire peur, mais aussi… » (Pr Yacouba Zerbo)

Depuis le 16 septembre 2023, un nouvel espace d’intégration sous régionale a été créé. Il s’agit de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qui regroupe le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Le 28 janvier 2024, ces trois pays signent un communiqué conjoint marquant leur divorce avec la communauté ouest africaine, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Un divorce consommé au vu de l’engagement des trois pays à mutualiser leurs forces pour non seulement faire face au terrorisme mais aussi travailler à œuvrer pour le développement socioéconomique. Quel avenir pour l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ? Quel type d’économie pour les pays de l’AES ? Ce sont, entre autres, les questions abordées au cours d’un entretien avec le professeur Yacouba Zerbo, enseignant chercheur en relations internationales à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou. 

Professeur Yacouba Zerbo, enseignant chercheur en relations internationales
Professeur Yacouba Zerbo, enseignant chercheur en relations internationales

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger, trois pays du Sahel qui partagent la même histoire. Partis d’une domination coloniale française, ces pays sont tous indépendants en 1960. Aujourd’hui, ces pays ont un destin commun. Un destin qui tourne autour de plusieurs défis à savoir la sécurité, le développement socioéconomique et l’intégration des peuples.

« L’AES s’est vue abandonnée à son propre sort par la CEDEAO »

Tous, pays membres fondateurs de la communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ces pays ont claqué la porte de cette organisation d’intégration sous régionale à travers une note conjointe le 28 janvier 2024.

Pour le professeur Yacouba Zerbo, enseignant-chercheur en relations internationales à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, l’Alliance des Etats du Sahel n’a pas tort de claquer la porte de l’institution sous régionale. Il précise que la CEDEAO, censée être le Léviathan des peuples de ces pays membres a échoué dans sa mission.

Selon lui, la création de l’AES est une réaction face à une situation donnée à savoir la question sécuritaire qui avait ébranlé ces différents Etats pendant plusieurs années. « Pendant des années, ces pays étaient vraiment sous l’emprise terroriste et ils se battaient de toutes manières pour défendre leur territoire et leurs populations. Ces Etats ont décidé de s’organiser intérieurement pour faire face à cette situation.

Retenez bien que cette réaction n’est pas contre la CEDEAO seulement mais aussi contre un certain nombre de pays qui ont une vision différente du monde. Depuis 2021, il y avait une politique au niveau de la CEDEAO, adoptée par les Etats Unis. Cette politique avait permis la création de l’Afrique occidentale côtière. Et par cette politique, cet ensemble de pays allaient bénéficier de la protection des autorités américaines. Cette configuration correspond à un certain nombre de pays membres de la CEDEAO sans les Etats du Sahel, à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger », explique-t-il.

Il indique que cette politique adoptée par les Etats Unis au profit des pays côtiers de l’espace CEDEAO portait des germes d’un abandon absolu des Etats du Sahel par la CEDEAO. Une politique qui laisse entrevoir une exclusion dans la politique internationale de sécurité. Partant de ce point de vue le Burkina Faso, le Mali et le Niger ne sont pas protégés face à l’hydre terroriste qui sème la terreur au sein des populations et met les économies en berne.

« L’AES nous réserve un avenir prometteur si tout est mis en œuvre »

Avec une population estimée à plus de 72 millions d’habitants, l’espace AES constitue un vaste marché de consommation. Mais pour y arriver, les autorités doivent prendre un certain nombre de mesures pour faciliter l’intégration des peuples et booster un nouvel élan de développement socioéconomique.

Pour le professeur Yacouba Zerbo, la responsabilité de l’AES est énorme. Pour ce faire, les autorités doivent développer une stratégie de mobilisation des ressources, développer une stratégie de tissu diplomatique adapté, une politique de s’adosser aux personnalités physiques et morales et investir dans la sécurité et développer une stratégie de coopération correspondant aux réalités actuelles.

« Quand on quitte une institution pour créer une nouvelle, on doit adopter des stratégies dans les domaines de développement socioéconomique. Que ça soit l’intégration, la mobilisation des ressources, la diplomatie, la coopération et surtout dans le domaine sécuritaire. Tout ça pour répondre aux défis du moment qui ne sont rien d’autre que la sécurité et l’économie. L’AES doit avoir une force de nuisance pour faire peur, mais aussi pour sa propre sécurité afin de pouvoir faire face aux défis du moment » ; souligne-t-il.

Quand on parle de l’économie, la question de la monnaie reste primordiale et capitale. Aujourd’hui, ces pays, à la quête d’une souveraineté totale ont décidé de mutualiser leurs efforts pour une société libre et plus intégrée économiquement. Et pour la question de la monnaie, elle est une suite logique de la recherche de souveraineté. La monnaie est un instrument de souveraineté mais elle repose sur plusieurs éléments à savoir les ressources de l’Etat, le marché et sa protection.

« Il y a un certain nombre d’élément à prendre en compte dans la création d’une monnaie. Il y a les ressources de l’Etat, le marché et sa protection. Les capacités d’importations et d’exportations, un espace commercial, c’est surtout ça qui est capital. Cette monnaie doit fournir des productions au marché local et aller faire la conquête du marché international pour engranger des devises étrangères qui vont venir renforcer la solidité de cette monnaie », nous explique Yacouba Zerbo.

« La monnaie : un levier de développement économique et social »

La monnaie reste un moyen d’échange des économies contemporaines. Elle doit avoir une certaine considération pour assurer sa valeur et son équilibre. Pour l’enseignant chercheur à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, une monnaie, sur le marché doit bénéficier d’une stabilité politique et de l’équilibre des secteurs d’activités de développement économique.

« La monnaie n’aime pas le risque, l’instabilité politique, elle n’aime pas le déséquilibre des secteurs d’activités. La monnaie veut avoir de l’assurance pour assurer la confiance des partenaires, sa transférabilité, sa convertibilité, son dynamisme sur le marché concurrentiel », poursuit-il.

Levier de développement économique d’un pays, la monnaie est manipulable en fonction des intérêts des pays tributaires de la monnaie. Et dans une économie d’investissement et d’importation la monnaie est fluctuante, due aux manipulations pour répondre aux besoins du moment. Chose qui n’est pas nouveau selon notre interlocuteur. Le développement des économies nationales, du commerce, le contrôle strict de change sont, entre autres, les avantages d’une souveraineté monétaire.

Le Professeur Yacouba Zerbo indique que ces trois pays connaissent des situations difficiles dues à l’insécurité, mais estime que des situations difficiles qui font naître un nouveau dynamisme pour acquérir leur souveraineté et les populations doivent taire toutes sortes divergences qui pourraient enfreindre à cette dynamisme.

« Ces pays sont dans une nouvelle dynamique en particulier le Burkina Faso pour reconquérir l’intégralité de son territoire, sécuriser l’Etat et ses populations face au terrorisme et d’autres adversités de nature différente. Cela a amené les autorités à tracer des objectifs qu’ils veulent atteindre sur le plan militaire, économique, social et politique, diplomatique mais également dans le domaine de l’intégration. 

Et c’est déjà prendre en compte les efforts fournis et si ces efforts sont vraiment pris en compte il faut bien qu’on puisse faire taire forcement la persistance de certaines contradictions internes qui ne construisent pas une nation », conclut le professeur Yacouba Zerbo, enseignant chercheur à l’université Joseph Ki-Zerbo. Les chefs d’Etats de l’AES se sont réunis le 6 juillet 2024 à Niamey en marge d’un premier sommet. L’acte d’une confédération a été signé par les 3 dirigeants.

Source Burkina 24

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