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Guinée : les conflits entre éleveurs et agriculteurs mettent en péril la sécurité alimentaire à Lola

La terre, source de subsistance, est devenue un champ de bataille en Guinée forestière. À Lola, localité située à 928 kilomètres de la capitale, Conakry, à l’extrémité sud-est de la région de la Guinée forestière, aux frontières du Libéria et de la Côte d’Ivoire, les tensions entre agriculteurs, qui défendent leurs cultures, et éleveurs, qui cherchent des pâturages pour leurs troupeaux, s’exacerbent. Les conséquences de ces affrontements sont désastreuses pour les populations locales, notamment en termes de sécurité alimentaire. Les champs ravagés, le bétail volé ou tué et les pertes en vies humaines témoignent de l’urgence de trouver une solution durable à ce conflit qui dure depuis des années. 

Le dernier conflit remonte au 12 janvier dans la sous-préfecture de Lainé. Des jeunes autochtones remontés contre la destruction des champs agricoles par les animaux ont réclamé le départ immédiat des bouviers. Les violences qui s’en sont suivies ont causé la mort  d’une personne par arme à feu, des blessés dont quatre hommes en uniforme et près d’une centaine d’interpellations, selon le rapport du Collectif des ONG de défense des droits humains comprenant Mêmes droits pour tous (MDT), Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme et du citoyen (OGDH), Avocats sans frontières (ASF-Guinée), Observatoire citoyen pour la justice et la paix (OCJP) et Volontaires guinéens des droits humains (VGDH).

Dans le même sciage, le 17 janvier 2024, le procureur de la République près le tribunal de première instance de N’zérékoré faisait état de 5 blessés par balles dont 3 policiers, 85 magasins pillés, 66 personnes arrêtées, 12 sacs de chanvre indien et 24 fusils de calibre 12 saisis.

La sécurité alimentaire menacée  

Lola, ville d’agriculteurs est aussi l’une des grandes zones de production agricole de la Guinée forestière. Selon le rapport du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) publié en 2008 et intitulé « Diagnostic socio-économique et enjeux de développement territorial de la ville de Lola en Guinée forestière”, parmi la population, d’origine rurale, 37% des chefs de ménages pratiquent l’agriculture comme activité principale. Les autres chefs de ménage fonctionnaires (21 %), commerçants (20%), artisans (17%)  pratiquent ou investissent souvent dans l’agriculture comme activité secondaire.

Cette activité occupe en effet une place centrale dans l’économie. Elle est aussi essentielle pour l’alimentation locale et constitue une importante source de revenus. La population produit essentiellement pour sa consommation personnelle immédiate.

Le riz, le maïs, le manioc sont les principales cultures. Les productions en termes de riz et de maïs sont par exemple estimées respectivement à 2000 et 2498 hectares  pour la campagne agricole 2024-2025 contre 1750 et 2398 hectares la saison précédente. 

Malheureusement, les conflits récurrents entre éleveurs et agriculteurs menacent la production et par ricochet la sécurité alimentaire. La perte de cultures réduit les stocks de nourriture et les rendements, créant un risque de pénurie pour les familles. De plus, de nombreux cultivateurs sont contraints d’abandonner leurs activités et la destruction des cultures met en outre en danger les moyens de subsistance des familles d’agriculteurs, augmentant leur vulnérabilité économique. Les pertes agricoles engendrent également une diminution des revenus des ménages, entraînant une pauvreté accrue. 

 « Cela affecte négativement les cultivateurs sur le plan économique. C’est à travers leur production qu’ils vivent. Mais si leurs champs sont dévastés, comment vont-ils se nourrir et subvenir à leurs besoins ? », se demande le lieutenant-colonel Kolié, sous-préfet de Guéasso, l’une des localités où les conflits sont récurrents.

Cette situation a aussi une répercussion sur les prix des denrées, a fait savoir Agnès Fofana, commerçante. À titre d’exemple, elle déclare qu’un sac de manioc de 100 kilogrammes qui était vendu entre 35 000 et 40 000 GNF, il y a deux ans, est actuellement vendu à 250 000 GNF. 

Les changements climatiques et la pression sur les ressources naturelles exacerbent les conflits 

Selon le rapport du Collectif des ONG de défense des droits de l’homme en Guinée forestière publié le 20 janvier 2024, la destruction des pâturages dans les régions traditionnelles d’élevage que constituaient la Moyenne Guinée et la Haute Guinée sous les effets conjugués des feux de brousse, du déboisement intensif et d’autres formes de pressions de l’homme sur l’environnement a contraint les éleveurs à émigrer notamment en Guinée Forestière, une zone humide qui offre des espaces suffisamment herbeux. Ces éleveurs locaux sont rejoints par des éleveurs peuls du Niger et du Mali en quête de pâturages et à cause de l’existence de conflits armés dans ces pays. Se sentant en insécurité dans les zones rurales du nord et de l’ouest de la Côte d’Ivoire jusqu’au déclenchement de la crise politique à dimension intercommunautaire dans ce pays, ils ont cherché d’autres espaces dans la Guinée Forestière voisine. 

Il ressort également de ce rapport que l’élevage intensif dans des parcs aménagés avec toutes les commodités modernes, tel qu’il est pratiqué dans les pays développés, est totalement méconnu en Guinée. Comme ailleurs en Afrique, c’est l’élevage traditionnel qui a cours, les bêtes divaguent et broutent tout sur leur chemin. Les bergers passent la journée derrière leurs troupeaux, les abreuvent dans les mares et rivières sur leur passage. Ce qui affecte dangereusement les versants des cours d’eau et l’écosystème. 

Difficile d’avoir des données exactes sur le nombre d’éleveurs, notamment étrangers, évoluant dans la préfecture de Lola. Les autorités préfectorales ont indiqué ne pas avoir de chiffres exacts. Mais à Guéasso, où les conflits sont récurrents ces dernières années, en 2023, il y avait 40 éleveurs enregistrés, dont 37 étrangers. Le nombre de bétail était d’environ 20 000, tous des zébus, selon Fanghana Sacko, chef de poste de l’élevage. 

Pour lui, le fait que les éleveurs refusent de construire des parcs de nuit est ce qui favorise ces conflits. Car, dit-il, « ils (les éleveurs, NDLR) n’arrivent pas à contrôler leurs troupeaux ». 

 Des problèmes structurels et de justice

Un autre aspect essentiel de ce conflit est le manque d’organisation des corporations d’éleveurs et d’agriculteurs, mais aussi le manque de coordination et de compréhension entre les autorités administratives et locales. La corruption et le laxisme de l’administration sont aussi pointés du doigt par le Collectif des ONG de défense des droits de l’homme en Guinée forestière. Ce collectif estime que la corruption des autorités est souvent à la base des mécontentements des populations et de l’exacerbation des conflits. Les éleveurs étant plus riches que les paysans, il leur serait loisible d’user de leurs moyens financiers ou en nature pour corrompre les agents de l’administration pour l’installation de leurs animaux qui commettent des dégâts. 

Ces accusations sont balayées d’un revers de main par les autorités. Et du côté des éleveurs, on estime également être victimes. 

« Nous avons des problèmes avec la communauté, notamment avec les propriétaires terriens. Quand ils nous donnent des domaines pour installer nos troupeaux, ils installent ensuite des cultivateurs sur les mêmes domaines. Maintenant, quand les bœufs arrivent dans ces champs, cela crée des conflits », indique Boubacar Baldé, président des éleveurs de Guéasso, qui précise en outre qu’ils n’ont pas d’accointance avec les autorités. Eux-mêmes se plaignent de ces autorités. « Beaucoup de notre bétail se fait tuer dans les pâturages, mais rien n’en sort. Quand on se plaint au niveau des autorités, il n’y a pas d’enquêtes sérieuses pour retrouver les auteurs. Cela nous fait peur », déplore Boubacar.

A Guéasso, au moins 20 plaintes sont reçues par jour au niveau du comité local de gestion des conflits. Une structure mise en place par les autorités et dans laquelle tous les acteurs sont représentés.  

« La fréquence des conflits entre éleveurs et agriculteurs est élevée à Guéasso. Cette localité est d’ailleurs la zone la plus conflictuelle de la préfecture de Lola, même si cela a un peu diminué ces derniers temps. Chaque jour, nous recevons des plaintes. Par semaine, nous en recevons en moyenne 20. Cela fait que nous sommes tout le temps en mouvement, sous le soleil et la pluie. Car lorsqu’un cultivateur se plaint à nous, nous nous déplaçons pour aller dans son champ évaluer les dégâts et nous obligeons l’éleveur dont les animaux ont causé des dégâts à dédommager », explique le chef de poste de l’élevage.

Mais du côté des agriculteurs, l’on estime que le montant du dédommagement est faible par rapport aux dégâts causés et les plaintes au niveau de la justice aussi peinent souvent à aboutir. 

« J’ai été victime de la destruction de mon champ de riz par les bœufs d’un éleveur. J’ai saisi le bureau du district. Après examen de l’affaire, j’ai été indemnisé à hauteur de 800 000 GNF seulement, alors que la production de cette année pouvait être estimée à 15 sacs dont la valeur d’un sac s’évalue à 350 000 GNF », nous a confié un cultivateur de Gonota qui s’est converti dans le commerce. 

Un autre cultivateur de Guéasso qui a subi le même sort a indiqué ne plus avoir le courage de continuer dans l’agriculture. 

« Chaque fois, des bœufs viennent dans mon champ. Pour un premier temps, ils ont brouté une partie. Je suis allé me plaindre auprès du comité chargé des conflits. Ils sont venus évaluer les dégâts et ils ont demandé au propriétaire de me dédommager à hauteur de 800 000 GNF, ce qui fut fait. Mais les bœufs continuent toujours de venir, ils ont ravagé presque tout le reste du champ. Maintenant, je ne peux plus rien faire. Ce que je demande, c’est qu’ils (les propriétaires des bœufs) achètent le champ parce que je ne peux plus continuer », a-t-il expliqué avec l’air désespéré.  

Des solutions qui tardent à venir  

En avril 2024, au cours d’une tournée dans la localité après les conflits de janvier, le ministre de l’Agriculture et de l’Élevage a indiqué que le gouvernement explore des pistes de solutions durables. Félix Lamah a notamment annoncé la ratification au niveau du Conseil National de la Transition (CNT) de la loi d’orientation agricole et du Code pastoral. Ces textes ont été promulgués en mai 2024 par le président de la transition, mais leur application tarde encore.

Pourtant, ces documents, selon des spécialistes, favorisent la gestion de la cohabitation entre les éleveurs et les agriculteurs et aident à gérer les questions de transhumance (internes et en provenance d’autres pays).

Le ministre Lamah s’était aussi engagé à mettre en place des zones de pâturages, des aires de repos et des parcs de nuit pour les animaux. Des solutions qui peinent également à se concrétiser.

Pour Nianga Doré, ingénieur agronome, la résolution de ces conflits nécessite une approche globale impliquant l’ensemble des acteurs, notamment les éleveurs, les agriculteurs, les autorités, la société civile et la notabilité. Au-delà des solutions envisagées par le gouvernement, il propose de privilégier des cultures plus résistantes au pâturage et de varier les cultures pour réduire la vulnérabilité des champs.

« Nous avons de très beaux textes. Mais l’État refuse de prendre ses responsabilités pour gérer de façon durable ce problème. Les textes réglementaires qui ont été promulgués définissent tous les contours. Il suffit de les appliquer », renchérit Kalil Condé, spécialiste des questions environnementales et agricoles.

Il estime en outre que la solution durable passe par la délimitation des terres en définissant clairement les zones d’élevage et de culture pour éviter les chevauchements et les tensions, mais aussi améliorer la qualité des pâturages pour réduire la pression sur les terres cultivées.

Ce technicien préconise en outre la formation des agriculteurs et des éleveurs à des pratiques agricoles et d’élevage durables et propose des assurances agricoles pour protéger les agriculteurs contre les risques climatiques et les conflits.


Cet article a été publié avec le soutien du Centre International pour les Journalistes (ICFJ)

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